Fils de Gonzo, Juan F. Thompson [Rencontre]

J'ai dans la "vraie vie" une amie qui ignore ses talents d'écriture et de synthèse. Elle est passionnée et passionnante. Dès que j'ai reçu l'invitation pour rencontrer Juan F.Thompson j'ai immédiatement pensé à elle.




Lorsque je "n'ai plus rien à lire", je m'adresse à elle, et je me retrouve toujours avec des envies de tout lire tant elle présente avec conviction ses lectures. 
Il ne pouvait y avoir meilleure rédactrice invitée sur le blog. Elle relève le niveau d'écriture existant. J'espère de tout coeur qu'elle reviendra aussi souvent qu'elle le désire. 
Je la remercie, ayant tant aimé Las Vegas Parano ou Rhum Express et après avoir lu ses mots je n'ai qu'une envie: Dévorer le témoignage du fils de cet auteur si controversé. Merci.


RENCONTRE AVEC JUAN F. THOMPSON AUTOUR DU LIVRE FILS DE GONZO


Où il sera question de filiation, de contre-culture, de gonzo journalisme, de motards, de fiction créative, de chambres d’hôtel et d’anges qui passent


PARIS, restaurant Vins des Pyrénées, le mardi 27 mars 2017

 
Un lieu

Ambiance feutrée au premier étage du restaurant « Vins des Pyrénées », à Paris près de Bastille. La pièce, bien qu’assez exiguë et toute en longueur, dégage une forme de convivialité. Une trentaine de personnes, livre à la main, discutent autour d’un verre de champagne. Près de la table sur laquelle sont disposés verres, bouteilles, petits fours, un homme se tient debout dans le renfoncement. Il est discret et semble même presque gêné d’être ici. C’est Juan F Thompson. 


Un fils


Il est moins inconvenant que facile de lui accoler derechef l’attribut «fils de Hunter S. Thompson ». Il n’est rien d’inconvenant en effet à être le fils d’un des plus grands journalistes américains du XXème siècle, inventeur d’un genre littéraire, le gonzo, qui se mettait en scène dans ses articles, et faisait battre le coeur de cette ambiance de contre-culture des années 60 en y retranscrivant dans ses écrits le souffre et la sueur psychédéliques. 
 
 
Le fils de...
 
 
Hunter S. Thompson est l’homme qui a vécu en immersion avec les Hells Angels, a couvert le marathon d’Honolulu, a suivi et retranscrit au cordeau la campagne présidentielle de Nixon. 
Il est alors facile de parler de « fils de » mais en parler c’est justement déjà bien facile dès lors qu’ « être » se révèle autrement plus compliqué. Comment en effet «être » le « fils de Hunter S. Thompson »? Comment trouver sa place dans l’ombre d’un père effronté, sulfureux, aussi génial que tripé et narcissique ? 
 
C’est là tout l’enjeu de cette rencontre : expliquer, ouvrir d’autres perspectives que celles inlassablement rebattues de la coke, de la fête, des vols internes sous acides… Juan F. Thompson ne cherche pas à voiler son intention, il veut explicitement parler de son père, oui, mais aborder la facette intime de ce personnage quasi culte, le faire (re)découvrir à ceux qui, de manière caricaturale, ne voudraient retenir de lui qu’excès le disputant au génie ou inversement. 
 
 
Échanges 

 
Les acteurs de cette discussion sont Hubert Artus, journaliste à Rue 89 et spécialiste de la contre-culture et Nicolas Richard, traducteur de Hunter et Juan Thompson. Hubert Artus pose les questions et Nicolas Richard traduit simultanément.

La première question posée porte sur le déclic qui a impulsé l’idée de ce livre. Juan Thompson répond sans détours et d’une voix fluette qu’à la mort de son père en 2005 (Hunter s’est suicidé), les média se sont emparés de ce drame et en ont profité pour se focaliser sur le personnage de Duke, l’alter-ego déjanté d’Hunter. Juan a très mal vécu cette période durant laquelle il a plus que jamais ressenti le décalage entre le deuil qu’il devait supporter et l’émulation provoquée et retranscrite dans les média liée au geste suicidaire d’Hunter et qui venait «couronner » presque logiquement l’ensemble de son œuvre. 
 
Juan s’est dit profondément marqué et gêné par cette impudeur et à plus forte raison, par le fait que les journaux ne traitent que de cet aspect-là de son père et non de sa carrière d’écrivain. Il s’est senti le besoin de rétablir une vérité, la sienne, celle d’un fils qui raconte son père, celle d’un auteur qui s’affranchit de la tâche d’écrire une «biographie stricto senso » mais qui souhaite davantage verser dans l’intime, le lien, la filiation… 
 
Le thème de la filiation, prépondérant dans ce livre est évidemment abordé au cours de la discussion. A ce sujet, Juan confie être lui-même devenu père en 1994 d’un garçon, Will. Devenir père lui a permis d’y voir plus clair quant à sa relation avec le sien et, il avoue, avoir tout fait dès la naissance de son fils pour ne pas reproduire les schémas auxquels il avait été initié par son père. « Ce qu’a fait Hunter est absolument ce qu’il faut éviter de faire » dit-il au sujet de l’éducation. Il a ainsi tout mis en œuvre pour être un père présent dans la vie de son fils, concerné, et pour ne jamais avoir à lui imposer les terribles colères que piquait Hunter. D’ailleurs, une chose est frappante durant la discussion : lorsque Juan parle de son père, il ne dit jamais «papa » ou « mon père » mais « Hunter»
 
Le journaliste ne manque de le lui faire remarquer et la réponse ne se fait pas attendre : « J’ai toujours appelé mes parents par leur prénom et ce depuis l’enfance. Je pense que c’était d’ailleurs une initiative de Hunter ». Juan confie que ses parents étaient le « reflet de la sous-culture dans laquelle ils baignaient à l’époque ». Il a le sentiment que ces derniers ont rejeté tout ce qui relevait de l’éducation, de la relation parents/enfants. 
 
 
L'écriture

 
L’entretien se poursuit et aborde maintenant les conditions d’écriture du livre ainsi que ses prémices. Initialement, Juan avait pensé un projet sous forme d’entretiens avec des personnes ayant côtoyé Hunter de près mais très vite, il abandonna l’idée, se résignant à attendre une « vérité objective » de la part des amis d’Hunter. 
Juan ne tenait pas à axer son livre sur les côtés « border » de son père, il savait qu’il voulait lui donner une couleur plus personnelle, plus intime. Lorsqu’il a commencé son ouvrage, Juan était encore dans une période de deuil et de chagrin et sa première idée fut de célébrer les périodes fastes d’Hunter. 
Et puis, au fil du temps, il a tourné la page du chagrin, a retrouvé de la sérénité et s’est refusé à s’interdire certaines scènes humiliantes pour son père mais qu’il jugeait peut-être nécessaires. Il avoue ne pas avoir éprouvé de difficultés à écrire sur les scènes de colère et de violence entre ses parents. Ce qui a été plus éprouvant fut d’écrire sur la fin de vie de son père qui était devenu un être frêle et fragile mais, une fois encore, la nécessité a été plus forte que la raison et, il est parvenu à arracher les mots salutaires. 
 
 
Le Gonzo
 

Juan revient ensuite sur ce que le « collectif » a tendance à retenir des écrits gonzo. Il déplore le fait que les journalistes ne retiennent que la dimension «destroy, immersive, camée» tandis qu’il revendique une réelle innovation littéraire. Selon lui, il faut distinguer le « personnage fou, délirant et défoncé » de ses écrits. Il espère que dans 20 ans on retiendra davantage les écrits de son père que son côté destroy. Ce qui est remarquable pour lui c’est la confiance qu’avait Hunter dans ses écrits et non pas le comportement qu’il était capable d’adopter dans les chambres d’hôtel. L’un de ses soucis fut de présenter la force littéraire d’Hunter tout en conservant l’aspect tridimensionnel de son œuvre et de ce qui a fait sa gloire. Il précise que le but de ce livre n’a pas été de dresser un parallèle entre le gonzo journalisme et le journalisme d’immersion 3 points zéro d’aujourd’hui. Juan Thompson convoque également Tom Wolf, Truman Capote, les écrivains de la «Génération Rolling Stone » rappelant au passage qu’Hunter n’était pas le seul à faire de la « fiction créative ». 
 
 
Le livre culte Las Vegas Parano est sans surprise abordé dans l’une des dernières questions posées. Comment passer à côté? Juan, presque gêné, semble comme quasi étranger à l’effervescence qui découle de la simple prononciation du titre. Il confesse avoir relu le livre récemment et avoir pris du plaisir à sa lecture tandis que longtemps il fut l’un de ceux qu’il appréciait le moins (il lui a longtemps préféré les derniers écrits de son père, plus clairement « journalistiques » à son sens). Hunter, quant à lui, avait l’intuition que Las Vegas Parano combinait parfaitement le style et la fiction. Pour Juan, le propos est plus nuancé. Ce qui le frappe, c’est que le livre n’est pas de la fiction mais est écrit comme de la fiction.

Enfin, ultime question posée par une personne du public et qui relève des conséquences des prises de drogues de Hunter sur ses écrits. Là, une fois de plus, Juan nous prend à contrepied et au lieu de se lancer dans la diatribe attendue par tous (cette petite musique idéalisée du sacrosaint rapport qu’entretiennent drogues et Création), il surprend en proclamant qu’à son sens, la drogue n’a pas été un carburant pour son père mais qu’au contraire, elle a plutôt été un ralentisseur à sa créativité. 
Un ange passe et une remarque s’impose tacitement : si la drogue a constitué un frein à la création et au génie d’Hunter S. Thompson, alors qu’est-ce-que cela aurait été s’il avait eu, sa vie durant, le nez propre? Sommes-nous passés à côté d’une sublimation d’un esprit déjà génial? That is the question… 
 
 
Pour conclure et résumer de manière subjective « l’Ensemble » Hunter S. Thompson (œuvre, art de vivre, gonzo journalisme, fiction, vie privée, etc) nous pourrions lui appliquer cette formule inversée « Vouloir ne plaire à personne revient à plaire à tout le monde ».

Fils de Gonzo
Juan F. Thompson
Traduit par Nicolas Richard
éditions Globe 
304 pages
22 €
 


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